Lorsque le peuple se soulève, le pouvoir s’écroule
Les événements du Burkina Faso ne sont pas les premiers dans le continent noir. A l’aube des indépendances, certains chefs d’État étaient renversés ou poussés à la sortie non pas par des coups d’État ou par des élections démocratiques mais plutôt par les revendications de la rue. En remontant dans le temps, on trouve des situations similaires qui montrent que lorsque le peuple se fâche, le pouvoir, dictatorial soit-il, finit par s’écrouler comme un château de sable. La grogne populaire a bien des fois jeté des dictateurs sur le chemin de l’exil. Le départ forcé de Blaise Compaoré n’est donc pas un cas isolé. Un rappel des faits s’avère nécessaire pour fixer le cadre de cet événement dans l’histoire et dans le temps.
En 1963, un bras de fer s’engage entre le peuple et l’abbé Fulbert Youlou qui veut introduire le monopartisme au Congo Brazzaville. Dans la rue, la charge de l’armée n’ébranle pas la détermination du peuple. Après trois jours de manifestations intenses, le prêtre-président cède. C’est ce que l’on appelle les "Trois Glorieuses". Désavoué, Youlou s’exile en Espagne.
En 1964, le général Ibrahim Abboud est à la tête du Soudan. Sa politique provoque une grande crise qui met les étudiants et les professeurs de l’université de Khartoum en grève générale. S’y mêlent ensuite les fonctionnaires et les syndicats. Le mouvement est réprimé mais le peuple ne désarme pas. Au contraire, la pression de la rue s’avère plus forte que les armes utilisées par les sbires du dictateur. Dépassé par les événements, le général-président devenu depuis maréchal de son pays jette l’éponge.
En 1972, Madagascar est en ébullition. La violence du pouvoir en réaction à la grève estudiantine incite les fonctionnaires et les employés des entreprises à cesser de travailler. Cette insurrection dans la Grande île contraint le président Philibert Tsiranana à passer le flambeau.
L’histoire se répète de nouveau au Soudan en 1985. La révolte populaire provoquée par la crise économique, l’islamisation forcée, les arrestations, la répression politique et les tensions avec le Sud ont affaibli le régime autoritaire du général Gaafar el Nimeiry au pouvoir depuis près de vingt ans. Les protestations contre la hausse des prix se multiplient et paralysent le pays. L’armée profite d’un voyage de Nimeiry aux États-Unis pour le renverser.
Au Mali en mars 1991, les opposants au régime se rencontrent nombreux à la Bourse du Travail pour manifester. Après trois jours d’émeutes et de pillages réprimés dans le sang, l’armée dépose le général Moussa Traoré qui refusait jusqu’alors de démissionner.
Nigeria, août 1993, l’autorité du général Ibrahim Badamasi Babaginda est fortement contestée. IBB qui a concentré autour de son nom toutes les rancœurs des Nigérians finit par abandonner le pouvoir sous la pression de la rue.
Au Zaïre, Mobutu résiste aux pillages successifs dont celui de 1993 qui entraine l’assassinat de l’ambassadeur de France. Bien avant, l’aigle de Kawele avait sans état d’âme réprimé dans le sang la marche pacifique des chrétiens de Kinshasa qui demandaient la réouverture de la Conférence nationale souveraine. Mais son régime est affaibli par les multiples journées mortes organisées par l’opposition. Lorsque la rébellion éclate à l’Est, l’armée ne combat pas. C’est donc un boulevard qui conduit Laurent-Désiré Kabila tout droit au pouvoir en mai 1997. De Gbadolite, le maréchal s’enfuit au Maroc. Sa nouvelle vie d’exilé mine sérieusement sa santé déjà entamée par la maladie. Il meurt dans l’anonymat peu de temps seulement après sa chute.
En Côte d’Ivoire, le nouveau millénaire commence sur une fausse note. En 2000, les élections présidentielles sont organisées. Le général Robert Guéï qui les a perdues s’entête en voulant conserver à tout prix le pouvoir. Le peuple ivoirien qui ne veut pas d’un tricheur au sommet de l’État descend dans la rue et le chasse pour installer l’heureux gagnant qui n’est autre que Laurent Gbagbo.
En 2011, le Tunisien Ben Ali et l’Égyptien Hosni Moubarak sont l’un après l’autre poussés à la sortie par la pression inébranlable de la rue. Si le premier a réussi à prendre le large, le second vit en détention.
Le 31 octobre 2014, le burkinabè Blaise Compaoré est la dernière victime en date de cette saga. Assimilé au virus Ébola par son peuple, il est contraint à la démission suite à des soulèvements sans précédent pour avoir voulu modifier la constitution. Aux dernières nouvelles, le président déchu du Faso aurait été aperçu à Yamoussoukro. Notons que son épouse est de nationalité ivoirienne.
L’histoire est un éternel recommencement. Le peuple a toujours eu le dernier mot quand excédé par la mal gouvernance, il brave tous les dangers pour rétablir ou ses droits ou la légitimité. Lorsqu’il se lève comme un seul homme et qu’il se déchaine, rien ne l’arrête. Les armes les plus sophistiquée n’arrivent pas à calmer l’ardeur de sa furie et son désir de justice. Les officiers les mieux formés et les plus courageux n’arrivent pas à contenir sa colère revendicative. Même les régimes les plus sauvages ne lui résistent pas. C’est le vent qui emporte toutes les folles dictatures. Le plus souvent, la grogne populaire contraint les despotes à la retraite anticipée, chose qu’ils n’ont ni envisagée ni préparée. Car, lorsque le peuple souverain se soulève, le pouvoir, même autoritaire finit par s’écrouler. Pourvu que les changements occasionnés par ces soulèvements révolutionnaires conduisent l’Afrique sur la route du développement.
Samuel Malonga
P.S. http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/burkina-faso-rd-congo-le-congo-est-158826