L’Afrique malade du boukoutage et du mbébisme
Au Congo-Brazzaville existent dans le parler populaire deux mots qui à eux seuls expliquent le drame du continent africain. Éléments concrets de la mauvaise gouvernance, ces vocables sont utilisés depuis des lustres dans le parler brazzavillois alors qu’ils sont totalement inconnus à Kinshasa. Boukoutage et mbébisme sont deux termes qu’il convient d’expliquer aux mbokatiers.
Boukoutage
Ce mot tire son origine du kikongo. Dans cette langue, bukuta signifie broyer, croquer, écraser avec les dents, d’où le verbe lingala kobukuta. Au Congo-Brazzaville, le mot boukoutage signifie malversation financière. Le terme apparaît au grand jour pendant le quinquennat de Pascal Lissouba (1992-1997) éclaboussé par de fréquents scandales financiers. Le substantif dérive du verbe boukouter qui veut dire détourner l’argent. Le dilapidateur des deniers publics est appelé boukouteur ou boukouteuse. L’imagination populaire a atteint son paroxysme avec l’invention du terme boukoutatorium pour désigner le bâtiment où le dilapidateur malhonnête cherche à s’enrichir rapidement au détriment du peuple. Cinq ans après l’apparition du terme boukoutage, Lissouba qui a quelque peu été son architecte est chassé du pouvoir. Mais le mot tristement entré le langage populaire á survécu à sa chute, enrichissant ainsi le français africain d’un vocable peu reluisant.
Mbébisme
Ce terme vient du lingala mbeba dont le verbe kobebisa signifie abîmer, endommager, salir, gâcher, gaffer, casser. C’est un comportement asocial qui se traduit particulièrement par la destruction gratuite, le désordre voire la pagaille. Au Congo-Brazza, le mot mbébisme est en rapport avec le règne de Sassou II. Lorsque DSN reconquiert en 1997 le pouvoir qu’il avait perdu par les urnes, le boukoutage installé par son prédécesseur bat encore de l’aile car ayant proliféré pendant la guerre qui avait ravagé Brazzaville. Mais très vite sur les ruines du régime Lissouba naît avec l’impulsion de Sassou une nouvelle idéologie pour accompagner le système déjà existant de boukoutage. Les Congolais lui donnent le nom de mbébisme. Dès lors apparaissent plusieurs mots dérivés dont le substantif mbébiste (adepte du mbébisme, anarchiste) sans oublier les adjectifs qualificatifs mbébatoire et mbébalogique (qui relève de l’anarchie). La locution adverbiale marcher en mbéba (agir en enfreignant la loi) a donné naissance aux expressions : rouler en mbéba (agir avec anarchie) ; travailler en mbéba (exercer son travail sans tenir compte des règles établies); vivre en mbéba (vivoter, vivre difficilement ou se procurer les moyens de subsister qui défient la loi et les convenances). Sous les règnes de Lissouba et Sassou, le parler populaire s’est enrichi avec des mots qui renvoient à l’incurie des dirigeants et à l’incapacité des élites à mettre en pratique les théories saines apprises à l’université.
Dès lors, gouvernés par les boukouteurs et les mbébistes de tout bord, le continent croupit dans le sous-développement depuis le matin des indépendances. Le boukoutage et le mbébisme sont les deux cancers qui désormais rongent l’Afrique. Leurs métastases sont visibles dans le corps malade de nos pays au moment où les dirigeants-boukouteurs dont la malhonnêteté n’est plus à démontrer cherchent par tous les moyens à s’éterniser au pouvoir. L’argent du contribuable continue à être boukouté exactement comme on boukoute longuement les cacahuètes ou le manioc avant de les avaler. Profitant du mbébisme, les mbébistes confortablement installés dans leurs boukoutatoriums détruisent leurs pays et appauvrissent leurs propres frères en les condamnant à vivre en mbéba.
Samuel Malonga