La semaine de quatre jours et les noms des saisons en Kikongo
Réf : http://www.mbokamosika.com/2014/11/les-quatre-jours-de-la-semaine.html
J’ai lu successivement l’article de notre ami Pedro publié sur Mboka Mosika au sujet des quatre jours de la semaine en terre Kongo, ainsi que la réaction de Mbuta Kisukidi sur Facebook qui a apporté des plus amples précisions sur certaines réalités que plusieurs compatriotes, surtout ceux appartenant à la nouvelle génération n’ont pas appris durant leur formation scolaire.
Je suis très flatté par votre analyse et toutes les précisions que vous venez de porter à la connaissance de tous ceux qui ignoraient l’existence d’un calendrier utilisé jadis par nos ancêtres. Le peuple kongo avait son propre calendrier. N’en déplaise à ceux qui veulent nous considérer comme du menu fretin. Dans leur soif et leur quête de nous imposer leur civilisation, les missionnaires tout en acceptant au départ notre façon de voir les choses finirent par nous imposer leur calendrier chrétien. Ainsi fut modifiée au fil du temps la nomenclature de notre calendrier.
Nos ancêtres avaient leur propre codification des jours et des mois dans l’année. Ce n’était pas des semaines de sept jours comme on les utilise aujourd’hui, mais c’étaient plutôt des quatraines comme vous l’avez si bien dit qui étaient à la mode.
Le peuple Kongo avait son propre calendrier confectionné sur une semaine de 4 jours dont trois (3) jours ouvrables et un quatrième jour pour le marché. Il s’agissait des jours suivants : Nkenge, Nsona, Nkandu et Konzo. Ici, le jour du marché variait d’une contrée à l’autre. Cette énumération ne pouvait pas prêter confusion, car chacun de ses jours s’apparentait à un lieu où se déroulait un « grand marché » dans une contrée bien déterminée.
Nos anciens disposaient aussi de leurs propres méthodes de comptage.
Un mois était répartit sur 7 semaines, et une année se répartissait sur 13 mois.
En dehors de ce système qui les aidait à fixer la notion du temps, ils pouvaient assimiler cette répartition basée sur les marchés à une autre qui avait trait à leurs activités agricoles.
- Kintombo (octobre-décembre) : saison des premières pluies. C’est la saison des ma sanza (nourriture)
- Kyanza (janvier – février) : 2ème saison de la récolte de vin de palme
- Ndolo (mars à mi mai) : dernière saison des pluies
- Sivu (mi mai à aout) : C’est la première saison sèche
- Mbangala (aout septembre) : deuxième saison sèche qui arrivait avec des fortes chaleurs. C’est la saison de brûlis, mpyaza
Qui vous dit que le Kongolais ne savait pas réfléchir ?
C’est dans cette logique que le commandant Albert Thys dans sa quête des lieux stratégiques où il implantait les différents postes ou stations de ce qui deviendront plus tard les fameuses gares du chemin des fers Matadi – Léopldville (aujourd’hui Kinshasa), il tenait souvent compte de ce critère dans le choix des lieux où il devait construire ces gares, car la présence d’un marché sur le site à exploiter était une garantie de rentabilité.
Dans Mboka Mosika, notre ami Pedro a cité le nom de Mpangala en lieu et place de Nkandu. Sincèrement, je ne sais pas qui a tort et qui a raison, alors que généralement les noms auxquels vous avez fait allusion correspondaient bel et bien à ceux que nos anciens utilisaient et qu’on nous avait même appris à l’école primaire.
Ainsi à ma connaissance, les postes de Kenge, Inkisi, Nsona Ngungu, Nsona Mbata pour ne citer que ces quatre-là furent retenues dans cette logique. En effet, tous nos amis savent qu’à Kenge vers Matadi, il y avait un grand marché et ce nom de Kenge n’est que la déformation de Nkenge qui était le jour où ce marché avait lieu.
Près de la rivière Inkisi, il y avait le marché qui se tenait le jour de Nkandu. Ce marché existe jusqu’à ce jour et a même donné naissance à un quartier de Kisantu qui porte ce nom. Comme M. Thys ne pouvait pas installer la gare près de la mission catholique qui se trouvait en hauteur, il jeta son dévolu sur un autre lieu qu’il baptisa du nom de la rivière Inkisi.
De la même manière qu’il avait retenu la gare de Inkisi, il en fit de même pour la station de Thysville. Pour la petite histoire, lorsque M. Thys arriva à Tumba, considéré comme le juste milieu entre Matadi et Léopoldville, il prit la décision d’y installer le centre névralgique de la nouvelle compagnie. C’est ici que les locomotives devaient être requinquées à chaque voyage et ravitaillés en charbon. Mais, parti en éclaireur pour trouver d’autres endroits pour y construire ses futures stations, il fut agréablement surpris non seulement par l’ampleur du grand marché qui se tenait le jour de Nsona près du village de M. Ngungu, mais aussi par le climat et la qualité de l’eau de source qu’il trouva sur place. Ainsi il décida de changer de cadre et confia à M. Bilau la mission de construire à Nsona Ngungu, le siège et le grand atelier de la société des chemins de fers Matadi / Léopoldvile qui prendra plus tard le nom de ONATRA (Office des transports coloniaux).
Pour tous ceux qui ont connu la cité de Thysville, nouvelle appellation de Nsona Ngungu, le lieu où se déroulait ce marché de Nsona se situait vers les « mazanga ma ndeke » dans les parages du site où sera construit plus tard le fameux camp militaire des commandos de Thysville. Situé très loin du lieu où, topographie oblige, il avait jeté son dévolu pour construire les ateliers et le siège de sa société, le pouvoir colonial réussit à imposer sa volonté aux indigènes en déplaçant l’emplacement du marché qui va s’approcher de la nouvelle cité en gestation. Ainsi, le nom de NSONA NKULU (ancien marché) fut collé à l’endroit précité, et accessoirement, verront le jour le Camp des Policiers et la Cité des travailleurs de l’Onatra à Nsona Nkulu, l’Hopital de Nsona Nkulu, le Stade et les Cimetières de Nsona Nkulu, le Camp militaire de Nsona Nkulu qui rappelaient le souvenir de cet ancien marché. En revanche, le nouveau marché érigé près de la gare, à l’endroit où est situé l’actuelle station Cobil de Mbanza Ngungu, sera appelé NSONA MPA. Voilà un peu comment avec un jeu de mot, Nsona Mpa va disparaitre du vocable pour devenir Nsona Ngungu, du nom du grand chef coutumier qui avait réalisé la transaction avec Albert Thys. C’est ce nom de Nsona Ngungu qui sera débaptisée pour devenir Thysville et aujourd’hui MBANZA NGUNGU, grâce à la politique de Mobutu de recours à l’authenticité.
Concernant la gare de Nsona Mbata, il n’y a pas de photo. Le marché de Nsona avait aussi influencé la construction de cette gare.
D’aucuns vont me rétorquer que ma logique ne tient pas debout car sur les 36 stations, je n’ai épinglé que quatre gares qui répondent à ce critère spécial du choix des lieux où les gares de Mfumu Thys furent installées par rapport aux marchés. Me référant seulement à l’histoire de la contrée de Thysville que je connais assez bien, je me rappelle que lorsque le calendrier de sept jours fut imposé aux populations locales, les anciennes appellations étaient contraintes à disparaitre pour permettre aux indigènes de s’adapter plus facilement à leur nouveau calendrier. Ainsi, les missionnaires catholiques et protestants, réputés comme des véritables encadreurs et des éducateurs modèles vont continuer à utiliser cette référence des marchés pour réaliser la fameuse classification basée sur l’ordre des jours de la semaine, c'est-à-dire Kia zole, kia tatu, etc… facilitaient l’assimilation de cette notion d’une semaine à sept jours et mettait définitivement fin à nos quatraines.
Voici à titre d’exemple la répartition des marchés tels que nous la connaissions :
Kia Zole : Zandu dia Kiasi kolo
Kia Tatu : Zandu dia Muala Kinsende ye Zandu dia Boko
Kia Ya : Zandu dia Mbanza Ngungu
Kia tanu : Zandu dia Lukala
Kia Sabala : Zandu dia Kuilu Ngongo
Kia lumingu : Zandu dia Mbanza Ngungu ye Nkolo.
Dans la foulée, il y avait d’autres grands marchés selon le coin où l’on vivait. Vers Kimpese par exemple, il y avait Songa Lumueno, Mbemba et Songa Mani qui se partageaient les différents jours de la semaine. A Tumba, on parlait de Luvituku. Vers Kuilu Ngongo (Moerbeke), il y avait les marchés de Nkiende, Luvaka, Kuzi, Kimpangu. Plus loin dans l’axe de Nkolo, on avait Luidi, Mbengua Ntadi, Kivulu, etc… Sur la route de Ngombe Matadi, il existait les marchés de Kimaza, de Ngombe Matadi, de Ntimansi
Ces lieux de négoce étaient pour la plupart éloignés du chemin de fers, mais la grande particularité de l’époque est qu’il existait des routes bien entretenues qui reliait ces villages aux gares de l’Otraco et qui facilitaient l’écoulement des marchandises vers la capitale, surtout que tout au long du chemin des fers, les différentes gares étaient séparées d’au moins une dizaine de kilomètres seulement. Suivez notre regard. La province du Bas-Congo était très bien servie, car au moins, partout où des gares de l’Onatra étaient érigées, il existait des routes de desserte agricoles qui pouvaient faciliter la liaison entre ces différents pools. Avec la présence dans chaque gare des fortes colonies portugaises spécialisées dans ce genre d’activités, nos marchés étaient fréquentés régulièrement par des citadins qui s’adonnaient au petit commerce.
Pour terminer, je signale que les gares de Kenge, Songololo, Tombangadio, Lufu, Malanga, Kimpese, Tumba, Nkolo, Mbanza Ngungu, Kiasi Kolo, Marshall, Inkisi, Nsona Mbata, Waulters, Kasangulu, etc.. furent non seulement des stations destinées à desservir les voyageurs, mais aussi des hauts lieux d’échanges qui ont déterminé les appellations secondaires qui ont été collé à ces lieux… Et aujourd’hui, par un devoir de mémoire, chaque bas congolais pourra nous rappeler le nom qui était collé au marché de son village. Le mien à Kiasi Kolo, c’est le marché de Kia Zole.
Makuaya viokele
KOKE MIEZI JEAN