Lorsque sport et art font bon ménage
Le football et la musique ont souvent cohabité dans la société congolaise en général et dans nos familles en particulier. Les fanatiques des uns sont aussi ceux des autres et inversement. Au-delà des apparences et des différences, le sport et l’art sont intimement liés. C’est comme si l’un ne peut vivre sans l’autre. Les deux domaines se partagent le même espace, les mêmes fanatiques, les mêmes filles, les mêmes joies et déceptions. L’idylle entre le foot et la musique démarre dans les années 50. Les artistes affichent publiquement leur préférence sportive par des compositions ciblées sur leurs équipes chéries. Les groupes folkloriques ont mis la main à la pâte bien plus tard.
A Kinshasa, les musiciens et les footballeurs se croisent et parfois se détestent, se disputent les filles qui parfois n’arrivent pas choisir entre une star de foot et de musique. Les conquêtes féminines sont l’objet de plusieurs brouilles. Les Kinois se rappellent toujours de l’inimitié entre le bouillant Jean Kembo Monsieur but, à peine débarqué de Kisantu et Siongo Bavon Marie-Marie, l’idole des jeunes de l’époque. Comme une balle, musiciens et footballeurs se passent les filles. Pépé Akundji immortalisée par Papy Tex, a d’abord été la copine de Kakoko. Lorsque Manu Etepe est parti en Allemagne, elle est récupérée par Mbungu Taty. Elle ne tombe dans les bras du chanteur de l’Empire Bakuba que lorsque son idylle avec le milieu de terrain vitaclubien prend fin. Dans la guéguerre que les vedettes du ballon rond et du disque se livrent pour se taper les belles filles de Kinshasa, le conflit Kembo-Bavon a accouché de la chanson « Malou » ou le nom de Jeanke est clairement cité. Même si son nom n’est pas mentionné, d’aucun pense et croit que « Cassius Clay » est une flèche que Michelino Mavatiku avait lancé à l’endroit de Kakoko, le dieu du ballon rond.
Au-delà des affaires de femme qui enveniment parfois les rapports entre musiciens et footballeurs, le monde du foot et celui de la musique s’apprécient et se côtoient. Ils se sont même interpénétrés. Car si les uns s’en vont au stade ou suivent les matches à la radio et à la télé, les autres vont danser dans les bars lors des concerts. Ce sont deux mondes différents et semblables à la fois. Entre eux, il y a une sorte de passe-passe magique. Les mouvements se sont produits dans les deux sens. Certains musiciens sont devenus footballeurs. Le guitariste Enoch Zamuangana est passsé du FC Nomades Éboulement à Zaïko Langa-Langa. Il y a eu aussi des joueurs qui sont devenus musiciens comme Freddy Mayaula, ailier gauche de V.Club devenu guitariste dans le TP OK Jazz. D’autres combinaient les deux activités comme Michel Boyibanda, aurait été joueur de l’Étoile du Congo, entraîneur et chanteur dans l’OK Jazz. En Belgique, Freddy Mulongo jouait à la fois au Standard de Liège et se faisaient accompagner par l’orchestre Les Vipères). Saïo Mokili, le roi du foot congolais dont la voix était appréciée par Luambo Franco n’a pas osé faire le pas décisif qui devait faire de lui un artiste-musicien. Djuna Djanana aurait failli jouer dans Daring Imana et Papa Wemba aurait entrainé Vijana. Des footballeurs (Cyprien Bula) sont des parents des artistes-musiciens (Blaise Bula). Dans les années 80, les artistes-musiciens avaient renoué avec le sport-roi en mouillant le maillot au stade de 20 Mai devenant footballeurs le temps d’un match. Le sport est aussi comme la musique un loisir. Pour le symboliser, les ténors de l’orchestre Sosolisi ne s’appelaient-ils pas trio sportif Madjesi ? Certains de leurs compositions (Buteur, Coup franc, Pénalty) montrent leur ancrage au sport qui comme la musique soulève les passions et les cœurs.
Si toutes les victoires des Léopards (1968, 1974, 2016) sont célébrées en musique, bien des musiciens ont composé des chansons pour leurs équipes chéries. Il faut ici noter la concurrence acharnée entre Ebengo Dewayon de Cobantou et son cadet Johnny Bokelo de Conga. Si le premier est véclubien, le second affirme son appartenance à la famille rouge et or. Les deux frères, ennemis dans leur préférence sportive, n’ont cessé chacun de son côté d’écrire des chansons pour la gloire de l’équipe de son cœur. Ces deux orchestres comme nul autre ont chanté beaucoup pour leurs teams préférés. Luambo, grand véclubien n’a pas seulement chanté pour les vert-noir mais aussi à titre posthume pour le talentueux joueur Wetshi disparu précocement en 1961. Roitelet Moniania accompagné par Roger Izeidi puis Rochereau chantent pour le Daring. Toutes ces chansons marquent la participation et la présence de la musique dans le sport. C’est la confirmation de cette relation atypique entre ces deux mondes qui sont les plus grands pourvoyeurs de loisir au Congo vu le nombre des spectateurs qu’ils drainent.
La ville de Kinshasa a connu de très grands joueurs qui ont brillamment défendu les couleurs nationales et celles de leurs équipes respectives. Les légendaires dribles de Fifi Nzuzi, la polyvalence de Binda Nkolo Mboka, les kata-tête de Ngunza mobali ya zazu, le record continental détenu par Ndaye, la virtuosité d’Adrien Bobutaka n’ont jamais été glorifiés par une moindre chanson du temps de leur splendeur. Lobilo, le bouclier de la défense des Léopards et de Vita n’a eu droit qu’à une moindre reconnaissance à travers un cri de Zaïko accompagnant la danse funcky (Lobilolo Lobilo Lobilolo Lobilo). Le ventilateur Mana a eu aussi la sienne dans la chanson Kroubondo de Maxime Soki (Kroubondo Mana hein Mana). Ignace Lembe alias Pelé alias Mutu Felo serait le seul joueur glorifié par la chanson pendant qu’il est encore actif. Enfant terrible du foot kinois, ancien d’Himalaya (Arsenal), il termine sa carrière dans Daring Faucon. Malheureusement, malgré son talent, il n’a jamais eu la chance de jouer dans l’équipe nationale.
Si côté cour, les footballeurs et surtout les équipes avaient été honoré par les artistes, côté jardin, des dirigeants comme Alphonse Kuba d’Himalaya, François Bila ou Apenela de Bilima ont été dédicacés. Des musiciens iront même s’investir dans la direction des clubs. Luambo Makiadi dirigera l’AS V.Club. C’est sous sa direction que l’équipe devient pour la première fois championne du Congo en 1971. Verckys Kiamuangana emboîtera les pas à son aîné pour devenir président de Racing de Matete sans oublier Loko Masengo Djeskain qui s’est aussi investi dans le foot comme dirigeant. Notons que le TP OK Jaz et l’Afrisa avaient dédié chacun une chanson pour le FC 105 de Libreville.
Ci-dessous la liste exhaustive des chansons dédiées aux joueurs, aux équipes et aux dirigeants du foot congolais.
Ligue de Kinshasa :
- Askin, Flujos et Négro Succès.
Léopards :
- Vive Léopards, Rochereau et African Fiesta National, 1968.
- Moseka, Mario Matadidi et Sosoliso du Trio Madjesi, 1974.
- Ba Léopards, Nkila Ngo/ Laurents des Biens et Buke Buke National (Folklore Bambala), 2003.
- Allez-y Les Léopards, Magloire Paluku, 2016.
- Tuvutula ntonda ku ba Léopards, Nkila Ngo / Nzila Bukaka José et Sobanza 3 (Folklore Batandu).
Dragons :
- FC Dragons, Jhonny Bokelo et Conga 68, 1969.
- FC Dragons champion, Jhonny Bokelo et Conga
- Edo Apenela, Kwamy et son ensemble
- FC Dragons ya Botembe, Loly Marcus.
- AS Bilima, champion d’Afrique, Jhonny Bokelo et Conga, 1983.
V.Club :
- Bonne année ya Bana Véa, Franco et OK Jazz, 1958.
- Véa, Dewayon et Conga Jazz
- Liwa ya Wech, Franco et OK Jazz, 1961.
- Bana Véa champion 67/68, Champro King et Cobantou, 1968.
- Enlevez le chapeau Véa, Dewayon et Cobantou, 1969.
- Le Tout Grand Véa, Champro King et Cobantou, 1970.
- Véa Mokonzi, Simon Zinga et Kin-Bantou, 1970.
- Vita Club champion des champions, Landu Mbimu a Kanda, Ewawa de Malph, 1974.
- Chanson officielle de V.Club pour la finale de la Ligue des champions, 2014.
- Vita Club, Bill Clinton Kalonji, 2015.
Daring :
- Imana ya Daring, Roitelet Moniania et Roger Izeidi.
- Banga Imana, Roitelet Moniania et Roger Izeidi.
- Imana Daring, Rochereau et African Fiesta
- Bila François, Bholen et Négro Succès
- Daring Faucon, José Djosis et Kin-Bantou, 1970.
Himalaya :
- Kuba Alphonse ya Himalaya, Mayos et Cobantou, 1968.
- Lembe Pelé Gaudet, Mayos et Cobantou, 1969.
Mazembe :
- TP Mazembe Englebert, Malcot Liwoso, 2011
Sanga Balende :
- Sanga Balende, Tshilengi Kabuba.
Samuel Malonga