Une caractérisation du tribalisme (première partie)
Je viens de lire les commentaires de l’article sur l’origine douteuse de certains présidents africains et je me précipite aussitôt sur les dictionnaires de poche sur mon bureau, pour ne pas consulter une encyclopédie. Je me rends compte qu’aucun de mes dictionnaires ne prête au mot « tribalisme » le signifié négatif que nous lui connaissons. L’un des dictionnaires, dans sa dixième édition de 2005, dit : « condition de ce qui est tribal ; organisation des sociétés selon les tribus ». L’autre, un dépôt légal de 2009, dit : « comportement et attitudes basés sur la loyauté d’une personne à une tribu». Les lexicographes savent que la loyauté d’une personne à une tribu ne veut pas dire que la personne n’aime pas les autres tribus ; d’où la prudence dans la rédaction de leurs définitions, réduisant « tribalisme » à un mot neutre. J’ai remarqué une autre chose : Aucun de mes deux dictionnaires de poche ne contient le mot « tribaliste ». Cette économie d’espace me surprend. Considérant notre usage du mot, les lexicographes auraient pu dire : « Homme ou femme politique qui utilise la tribu pour se faire élire ». Mais, vous voyez que même cette définition-ci ne serait pas péjorative. Quel homme politique dirait aux gens de sa tribu de voter pour quelqu’un d’autre ?
Au début des années 90, des centaines d’associations ont vu le jour à Luanda. Tous s’appelaient ANA-quelque chose. ANAZOMBO, ANABEMBE, ANA… : Associação dos Naturais e Amigos de Zombo/Bembe/… (Association des ressortissants et amis de Zombo/Bembe/…). Vous voyez que le tribalisme (neutre) de ces associations n’est pas excluant. Un scandinave qui est ami des bazombo est un invité permanent aux réunions d’ANAZOMBO (pourvu qu’il n’ait pas l’idée de se faire élire chef de village). Et tous les bazombo qui participent à la réunion savent aussi qu’ils ne se plaindraient pas s’ils étaient nés aborigènes d’Australie ou incas de la Cordill(i)ère des Andes. Ce tribalisme imaginaire (toujours neutre) traverse l’Océan Indien d’un côté et l’Atlantique de l’autre, puis toute l’Océanie d’un côté et l’Amérique du Sud de l’autre, pour s’installer sur les marges du Pacifique.
Conclusion :
Les mots « tribalisme » et « tribaliste » sont comme des insultes : nyama, ngulu, libata, individu, … Ils gagnent leur connotation négative parce qu’ils ne sont pas utilisés dans leur sens référentiel qui est neutre, mais appartiennent plutôt à la fonction émotive du langage. Ce qui compte, ce n’est pas ce que les mots signifient ; c’est plutôt le fait que je suis en train de t’insulter.
PEDRO