La sainte trinité de la musique congolaise
Plusieurs musiciens ont dominé la scène musicale congolaise. Chacun à sa façon a marqué son époque. Tout comme les orchestres, succès personnel, succès d’un groupe qui parfois est resté dans notre mémoire.
Parmi tous les musiciens il y en a trois qui sont au dessus de la mêlée. Trois musiciens Nico, Luambo et Tabu Ley la sainte trinité de la musique congolaise.Trois musiciens qui ont laissé une empreinte indélébile dans la mémoire collective.
Ces trois musiciens étaient de vrais chefs d’entreprises, de vrais leaders. Les trois musiciens se respectaient mutuellement malgré les intrigues des médiocres. Leur façon de vivre imposait le respect. Ils savaient qui ils étaient et ce qu’ils représentaient dans la société. Rarement ils ne dépassaient la ligne rouge de l’indécence. Malgré leur saine rivalité professionnelle, ils savaient s’apprécier et reconnaissaient chacun le savoir-faire de l’autre. Des vrais artistes professionnels dignes de ce nom. Ils ont peut-être écrit les plus belles pages de la musique congolaise moderne. Une musique sans fioritures ni déchets. Ces messieurs connaissaient la valeur que les gens accordaient à leur musique, et ça les ennuyaient terriblement quand les choses ne tournaient pas rondement sur scène.
D’ailleurs la société belge SABAM ne s’était pas trompée sur eux. Dès le début de leur carrière SABAM,leur a donné à chacun une villa à Limété. C’est pour vous montrer la confiance et le respect qu’ils inspiraient déjà à l’époque. Dans ce temps là avoir une propriété à Limété n’était pas à la portée de tout le monde. Et, eux ils n’étaient qu’au commencement. Mais le rythme infernal de compositions qui leur fut imposé en retour devait les conduire à s’approprier ou à acheter les œuvres des autres musiciens de leur groupe ou pas. Ce qui explique que la plupart des compositions de leur ensemble portaient leur signature.
Nico chef ya compagnie, comme on l’avait qualifié dans une de ses chansons par Chantal était un grand génie de la guitare. Un virtuose. Ceux qui ont eu la chance de voir Nico Kasanda jouait en personne disaient que la guitare semblait avoir été inventée pour lui et lui pour la guitare. Il faisait littéralement chanter la guitare. C’était de la pure magie. Tous les grands solistes d’aujourd’hui jouent un peu de Nico. Son calme , son savoir-faire et sa dextérité ont fait école. Son orchestre l’African- Fiesta Sukisa rivalisa longtemps avec l’African Fiesta National et l’OK Jazz. C’était le premier ensemble à conquérir l’Ouest et l’Est de l’Afrique.
Jazz. C’était le premier ensemble à conquérir l’Ouest et l’Est de l’Afrique. D’un naturel timide et réservé, Nico Kasanda avait peine à exhiber ses sentiments. C’est seulement par sa musique qu’il parvint à exprimer sa richesse intérieure et sa totale sincérité. Sa virtuosité à la guitare hawaienne et la puissance de ses compositions furent comparées de son vivant au génie créateur d’un certain Luambo. Pourtant ,le parallèle entre lui et ses deux fameux frères rivaux pesa très lourd sur les épaules de Nico.
Finalement le départ en bloc d’une partie de ses musiciens pour aller former l’African- Soul avec Chantal Kazadi et l’enrôlement de l’autre partie qui lui était restée fidèle par Maître Taureau Ngombe pour former l’orchestre Continental finirent par lui plier les genoux. En dehors des doutes qui l’habitaient, Nico fut aussi victime de son époque et peut-être davantage encore des événements survenus dans sa vie conjugale. Sa femme flirtait avec un journaliste de la présidence…
Kasanda wa Mikalayi est mort à 46 ans, il y a plus de trois décennies mais on continue de scruter sa vie et ses œuvres. Une triste fin pour un génie de sa trempe. La fin d’un mythe. Quelle sorte de musique aurait composé Nico Kasanda s’il avait vécu plus longtemps . Aurait-elle été aussi admirable? Une énigme qui ne sera jamais résolue. Peut-être en est-il mieux ainsi.
L’histoire de Luambo et celle du triomphe de l’être sur l’adversité, de la rupture et la création d’une nouvelle école. Le style Odemba. Seul, il a tenu tête à l’African- Jazz avec toutes ses vedettes. Excédé par les départs à répétition des chanteurs, il prit le micro : succès immédiat. Sa voix était devenue une garantie de réussite. Rappelez-vous des duos qu’il avait formé avec Longomba, Youlou et Madilu à la fin.
Petit à petit en chantant, Luambo a placé le soliste dans une position de compétition, de dualité avec les chanteurs. Quel exploit!
Meneur d’hommes ,très sûr de lui ,trop imbu de sa personne Luambo n’aimait pas évoluer sous les ordres de quelqu’un d’autre . C’est ainsi qu’il refusa d’accompagner Kallé Jeff à la table ronde de Bruxelles malgré plusieurs insistances. Quelle force de caractère pour un jeune homme de seulement 22 ans à l’époque!
Guitariste soliste,animateur,chanteur,ce génie parfois colérique, mal dégrossi à large carrure et à la mise souvent négligée venu de Sona –Bata est devenu vite la coqueluche de tout Kinshasa. Il est entré vivant dans l’histoire. Grand observateur de la société dans laquelle il vivait, il en a décrit les mœurs sous toutes ses formes. Bien que lui- même ait contrevenu à ses propres règles Il est mort à 51 ans dans la force de l’âge. Le début d’une légende qui ne finit pas de s’alimenter toute seule .
La musique congolaise verra-t-elle jamais naître un autre compositeur comme Luambo. Qu’aurait-il put composer ou chanter en cette période trouble que traverse notre pays lui qui avait le fibre patriotique à fleur de peau. Qu’importe la cause de son décès la musique congolaise aura perdu beaucoup trop tôt un génie irremplaçable.
Le titre de seigneur qui lui fut donné semble bien indiquer que les contemporains du musicien le plaçait bien au dessus des autres chanteurs. La musique congolaise était sa seigneurie, lui régnait en grand seigneur. Les autres étaient ses sujets.
Chacune de ses chansons était un chef d’œuvre. La force et l’abondance de ses compositions n’ont cessé de susciter l’admiration pour leur lyrisme, leur passion et leur beauté. Dans la forme, ce sont des mélodies d’une inspiration divine et d’harmonie angélique; sur le plan de l’émotion, elles sont pleines de sentiments et de grâce.
Dès le début Pascal Emmanuel Tabu supplanta les autres chanteurs ,et prit seul le flambeau du rythme African Jazz pour contrer le style montant de l’OK Jazz. Désormais,la lutte entre les deux écoles se fera entre Tabu Ley Sinamuey et Luambo Makiadi Lokanga Lwa Djo Pene. Il a connu un succès fulgurant tout de suite à tel point qu’il faisait déjà ombrage à Kabasele alors qu’il n’était qu’à ses débuts. D’ailleurs il va finir par le surclasser. Grand Kallé préférant faire une
musique incompréhensible au grand public avec ses interprétations espagnoles. Une musique à la solde d’une certaine bourgeoisie locale et d’une certaine classe dite évoluée. La musique doit unir tout le monde avait écrit Beethoven à Cherubini.
Tabu Ley disait qu’il voulait projeter sa voix aussi loin que possible dans le royaume sans borne de l’avenir,il y est parvenu, jusqu’à un certain point. Sa musique a eu plus d’influence sur tous les orchestres qu’on ne le pense en général. La majorité des bons chanteurs se sont inspirés de lui, de sa façon de chanter,sa tenue sur scène,ses gestes parfois les deux poings fermés ramenés vers sa poitrine : symbole de l’homme qui est conscient de toute sa grandeur,sa magnificence et qui porte en lui tout seul sur ses épaules solides tout le poids de cette musique remarquable. Tabu Ley fait partie de ces hommes d’exception qui laissent à jamais leur empreinte dans l’histoire. Et chaque instant en écoutant sa musique on peut se replonger dans ce que fut sa vie : beaucoup de gaieté, de générosité, mais aussi une troublante profondeur porteuse de toutes les déceptions et trahisons venant surtout des proches, qu’il a su accepter sans broncher pour pouvoir les sublimer en chant. Avec lui on atteint le point culminant qui ne peut plus être dépassé.
Tant qu’il se trouvera des gens pour écouter la musique, il s’en trouvera pour écouter la musique de la sainte trinité de la musique congolaise.
GYOLA KISOKA GYOLA DOLOMINGO Nan KONGO TULU BISI