Bandoki na bondoki (les sorciers et la sorcellerie)
En Afrique en général et au Congo en particulier, la sorcellerie constitue une des tares léguées par la société traditionnelle. Cette pratique irrationnelle est enracinée dans l’existence même de l’Africain depuis toujours. Il semble que chaque famille a ses propres sorciers. Ceux-ci sont les dépositaires d’un pouvoir maléfique parfois héréditaire qui leur permet de nuire, de détruire et de donner la mort de façon mystérieuse. Les envoûteurs n’opèrent que dans le silence de la nuit. Ils ont leurs marchés, font des paris ou des tontines et se réunissent pour décider du sort de leurs victimes. Ces escadrons de la mort ne se déplacent qu’en avion mystique. Grâce à ces jets privés invisibles, les initiés peuvent parcourir de grandes distances pour accomplir leurs forfaits. Leur mode opératoire est plusieurs fois révélé par les repentis dont les témoignages sont jusqu’à ce jour les seules preuves matériels de l’existence de ce monde irréel Les sorciers tuent le plus souvent par étranglement. L’ensorcèlement leur permet de jeter le mauvais sort pour rendre les gens malades. Lorsqu’elles meurent, les victimes sont paraît-il mangées comme les prédateurs dévorent leurs proies.
On trouve des mots spécifiques édictés par les églises de réveil pour désigner la sale besogne des ensorceleurs. On parle de blocage, attaque, moto na misala, ntaba ya bonane etc. Si le suppôt de Satan sur terre est qualifié de nkadiampemba par les Bakongo, les kinois ont une panoplie des mots pour désigner ces malfaiteurs difficiles à identifier. Dans le jargon de la capitale, ils sont appelés ndoki, ntsor, ntshor, sorodiongo, soro.
Cette réalité se transpose aussi dans la vie d’une nation lorsque les gouvernants mènent la vie dure à leur propre peuple. Dans bien des cas, les dictateurs ont tous les attributs des sorciers mais en pire vu le nombre élevé de leurs victimes. Lorsque le peuple est devenu prisonnier, lorsque le pays est transformé en un bagne où les gens travaillent sans être payés et pire encore lorsqu’il est devenu un abattoir à ciel ouvert, la sorcellerie politique n’est alors plus à démontrer. Le cycle infernal et ininterrompu de la répression sanglante est aiguisé par la soif effréné du pouvoir personnel. Celui-ci à l’instar des sorciers n’a pas d’état d’âme au contraire il sème la mort, installe la peur, établit la désolation et alimente l’insécurité pour la multitude. Aussi curieux que cela puisse paraître, la similitude est frappante entre l’actualité au Congo et ce qui se passe dans les familles rongées par la sorcellerie.
Ce thème a d’ailleurs été abordé dans la musique congolaise. Nous avons sélectionné des hits dont certains sont chantés en kikongo. Pour en avoir le cœur net, écoutez les chansons de Luambo Franco : Bandoki kabasala ye nkenda ko (les sorciers n’ont plus de pitié), Luvumbu ndoki (Luvumbu le sorcier), Kimpa kisangameni (le mystère est accroché [au ciel]) puis celles de Freddy Mayaula et de Teddy Sukami qui portent le même titre : Bondoki (la sorcellerie).
Samuel Malonga