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Quand un pays doit s’appeler République - 1

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Quand un pays doit s’appeler République - 1

 

Mai 2017. Je suis à bord d’un avion des Lignes Aériennes Sud-africaines, South African Airways, et je lis le magazine de bord Sawubona. Un article signé par Christopher Clark sur les valeurs touristiques de la ville de Kinshasa attire mon attention. Je suis particulièrement captivé par cette très belle phrase: «Brazzaville, the capital of the confusingly similarly named, but considerably smaller, Republic of Congo, is just visible through the haze on the opposite bank of the river. »

 

La plupart d’entre nous ne pensons jamais comme ça. Pourtant, cette phrase, destinée aux touristes et à ceux qui arrivent sur les rives du Congo pour la première fois, comme Christopher Clark lui-même, montre que les deux Congos peuvent prêter à confusion. L’auteur de l’article n’a pas dit que cette « confusion » n’était pas là dans les années 1980s quand le monde s’était déjà habitué au nom de Zaïre, et j’ai déjà lu ailleurs des gens qui ne savent pas que la République Démocratique du Congo avait déjà porté ce nom jusqu’à la fin de 1971. Des réflexions s’imposent qui risquent d’être erronées, mais je les émets tout de même.

 

  1.        L’horreur des synonymes homophones

Certains profs de langue pensent que les langues du monde s’arrangent toujours pour que deux synonymes dans une langue donnée ne continuent pas à signifier exactement la même chose. Par exemple, le mot « mère » et le mot « maman » sont des synonymes. La langue et la société s’arrangent pour que l’un d’eux soit plus utilisé comme vocatif dans un certain contexte syntactique que l’autre. C’est ainsi que dans la récitation que nous avions régurgitée à l’école primaire sans tout comprendre, le faux malade dit : « Mère chérie, si tu savais comme j’ai mal …partout. ». Essayons de remplacer le mot « mère » par « maman ».

 

En anglais, le mot « mother » est utilisé comme vocatif par certaines couches sociales plus que par d’autres, qui ont tendance à dire « mum ». Et, parlant de leur mère à la troisième personne, il y a des gens qui ne diraient jamais « I love my mum », parce que c’est « low class ».

 

De la même façon, les langues ont un moyen de différencier les référents des mots homophones. Comment savez-vous que le Jean qui a écrit le quatrième évangile au début du nouveau testament n’est pas celui qui a écrit les trois épîtres entre les épîtres de Pierre et celle de Jude, et que celui qui a écrit l’Apocalypse est un autre, et qu’aucun de ceux-ci n’est Jean-Baptiste, dans un contexte où la distinction n’est pas signalée par nom et prénom ?

 

  1.        Nom juridique et nom géographique

C’est ainsi qu’il y eut une période où on avait la République Démocratique du Congo et la République Populaire du Congo. « Démocratique » et « Populaire », c’est ce que certains grammairiens appellent adjectifs de relation. L’adjectif « populaire » avait toute sa dénotation politique et idéologique à cette époque-là, mas « démocratique » n’était qu’une façon de s’appeler, parce qu’à l’autre bout du monde on avait une République Démocratique (et) Populaire de Corée (quelquefois « populaire » vient avant « démocratique ») qui avait une orientation dans la même direction que la République Populaire du Congo et qui s’était accaparé les deux adjectifs à elle toute seule, laissant l’autre Corée mal vêtue avec simplement République de Corée. Leurs respectifs noms géographiques sont Corée du Nord et Corée du Sud. Remarquez que nous n’avons pas l’habitude de dire Corée-Pyongyang et Corée-Seoul, qui est l’équivalent de nos peu juridiques appellations Congo-Brazzaville et Congo-Kinshasa, que Franco a choisies dans cette chanson que nous avons auditionnée l’autre jour quand Tshombé a chassé les musiciens des Bantous de la Capitale (http://www.mbokamosika.com/2017/07/le-gouvrenement-de-tshombe-a-pris-des-mesures-d-expulsion.html).

 

La logique est que le nom juridique mal vêtu, puisque non-adjectivé, de République de Corée est celui qui aurait le plus de sens, s’il n’y avait pas deux Corées. C’est ainsi que, quand la République Démocratique du Congo est devenue République du Zaïre, l’adjectif Populaire n’avait plus son sens distinctif. C’était plutôt un sens identitaire qui a montré le chemin à la République Populaire d’Angola qui n’avait en principe aucune fonction distinctive. Mais le nom de République Démocratique de l’Angola a été brièvement considéré, bien qu’il n’eût pas le temps d’atteindre le bureau du notaire, en 1975, quand le FNLA et l’UNITA ont dû célébrer leur indépendance loin de Luanda.

 

Je me rappelle encore, en 1971, l’annonce faite à l’église avant le gong de la première leçon dans les salles de classe, à la mission où j’ai fait le C.O., que la République Démocratique du Congo devenait République « Démocratique » du Zaïre, et les chuchotements dans la salle contre le diacre coupable de tel sacrilège, alors qu’on n’était au courant d’aucune loi interdisant l’adjectif « démocratique » dans la nouvelle appellation. Par miracle, tout le monde savait que personne n’aurait besoin de cet adjectif. Et plus tard, la République du Congo n’aurait pas besoin d’être Populaire, puisqu’il n’y avait aucune autre République du Congo. D’ailleurs, même le mot République n’avait plus de raison d’être en dehors des considérations juridiques. Quand Pepé Kallé chante « Eve Matoko, Beauté Naturelle mwan’a Congo », il n’a pas besoin de dire République. Tout le monde sait de quel pays il s’agit.

 

  1.        Les Guinées

Si vous allez en Angola et la radio met une chanson qui dit « Guiné, Guiné, Cabo Verde e São Tomé, Ango- Angola, Moçambique e São Tomé », vous saurez qu’il s’agit de la Guinée-Bissau (prenez note de l’orthographe en portugais). La chanson glorifie les PALOP (pays africains de langue officielle portugaise). C’est la force du contexte. Allez dans un pays francophone et quelqu’un dit « La République de Guinée » et c’est la Guinée-Conakry qui vous saute en tête, comme si les autres Guinées étaient des royaumes. La logique n’est donc pas nécessairement juridique-contre-géographique, mais linguistique. La Guinée-Conakry et la Guinée-Bissau ne sont pas exactement comme le Congo-Brazza et le Congo-Kinshasa qui sont francophones. La République de Guinée, c’est la Guinée-Conakry et « a República de Guiné », c’est la Guinée Bissau, alors que la Guinée Equatoriale reste géographique ; elle n’est pas la Guinée-Malabo ou la Guinée-Oyala, et même en espagnol elle s’appelle « Guinea Ecuatorial ».

 

Pedro


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