Quand un pays doit s’appeler République – 3
DRAPEAU DE LA GUINEE CONAKRY
En principe, on ne doit pas continuer à s’étendre sur un thème après l’épilogue, mais pour démontrer que je suis flexible et bavard, je vais présenter une autre petite théorie sur les adjectifs de relation.
1. Les adjectifs de relation du premier et du second degré
Nous avons vu que « démocratique », tout comme « populaire » et « fédérale » sont des adjectifs de relation, mais le véritable adjectif de relation pour le Congo, c’est l’adjectif « congolais/e ». On ne dit pas République Congolaise ou République Démocratique Congolaise à la façon de République Française ou République Tchèque, mais on parle de la société congolaise, de la musique congolaise, ou, parfois quand on veut être plus spécifique, de la société rdcongolaise. On peut parler de la culture coréenne, de la législation nord-coréenne ou sud-coréenne, de la diplomatie équato-guinéenne, de la frontière bissau-guinéenne. Dit-on « conakry-guinéenne » ? Ce n’est pas nécessaire. Aussi longtemps qu’on est en français, on l’a vu, « Guinée » tout court, c’est la Guinée Conakry. En portugais, Guiné tout court, on l’a vu, c’est la Guinée-Bissau. Et puisqu’il n’y a pas de Guinée anglaise, si un anglophone dit « Guinea » tout court, c’est la Guinée Conakry. Je m’amuse avec cette dimension linguistique pour postuler la théorie qui suit. En rapport avec les pays, il y a des adjectifs de relation du premier degré et des adjectifs de relation du second degré. Les adjectifs « congolais/e », « rdcongolais/e », « guinéen/ne », « coréen/ne », « dominicain/e », « tchèque », « irlandais/e », « vénézuélien/ne », « français/e » et « ivoirien/ne » sont des adjectifs de relation du premier degré. Les adjectifs de relation « démocratique », « populaire », « fédéral/e » et « bolivarien/ne » sont des adjectifs de second degré. Sur cette liste, nous pouvons même ajouter l’adjectif « national/e ».
Drapeau de la Guinée-Bissau
2. Adjectifs du premier degré dans une autre langue
Pendant un congrès en Angola, les participants se sont attardés pendant plus d’une demi-heure sur un point très intéressant. Un des participants, parlant de la Côte d’Ivoire, dit « Costa do Marfim ». Comme vous savez, il y a des pays dont les noms ne changent pas d’une langue à l’autre. Nous disons le Swaziland et non « la terre des Swazis ». En effet, un de mes collègues trouve que même en portugais, je ne devrais jamais dire « Swazilândia ». Le morphème « terre » dans Angleterre et Inglaterra en portugais correspond au morphème –land du nom anglais England, mais il faut beaucoup de leçons pour qu’on comprenne pourquoi Deutschland donne Germany en anglais et Allemagne et Alemanha en français et en portugais respectivement. Néanmoins, le nom United Kingdom peut se traduire dans n’importe quelle langue (Royaume Uni, Reino Unido, Verenigde Koninkryk, Kintinu Kiavukana, etc.) parce que le mot « royaume » existe dans les langues du monde comme un nom commun et l’adjectif « uni » existe également. On n’a qu’à les traduire.
Rewind jusqu’en 1986. Une de mes collègues, Mme Asante-Frempong, qui est ghanéenne, fait une exposition sur son pays, et nous rappelle que le pays à l’ouest du Ghana s’appelait jadis Ivory Coast et qu’il s’appelle maintenant Côte d’Ivoire.
Drapeau de la Guinée équatoriale
Comment est-ce qu’un pays qui est sur la côte (coast, costa) et qui regorge de troupeaux d’éléphants qui produisent de l’ivoire (ivory, marfim) insiste que son nom doit être en français, comme si on ne pouvait pas traduire « côte » et « ivoire » dans d’autres langues ? Voilà la discussion qui a mangé toute une demi-heure pendant le congrès évoqué qui s’est tenu très récemment en Angola. Quelqu’un dit « Costa do Marfim » et un puriste rétorque qu’il n’existe au monde aucun pays avec ce nom-là. Peut-être l’intervenant voulait-il parler de la Côte d’Ivoire. Si vous ne voulez plus que les gens disent « Côte de l’Or » ou « Costa de Ouro » pour « Gold Coast », trouver un nom plus local en langue locale, que les gens n’auront pas tendance à traduire. Dites Ghana. Si vous ne voulez pas que les gens disent « Upper Volta » ou « Alto Volta », dites Burkina Faso, et « le pays des hommes intègres » ne sera qu’un apposé, pas une traduction du nom du pays.
La conséquence la plus intéressante de cette situation est que la langue portugaise a deux adjectifs de relation de premier degré pour la Côte d’Ivoire. Quand les Eléphants débordent dans le camp adverse à la CAN, le journaliste sportif angolais dit « Avança sobre o lado esquerdo a equipa marfinense ». Ce journaliste ne sait pas encore que l’adjectif qu’il faut utiliser est « ivoirense ». Les profs qui ne croient pas qu’il peut y avoir des synonymes parfaits diront que l’adjectif « ivoirense » est un gallicisme encombrant. Un mot portugais qui se respecte n’aurait pas la séquence des lettres voyelles –oi— qui se prononcent /wa/.
PEDRO