Traduction directe et traduction oblique, ( cas de la chanson Songi-Songi)
En 1958, Jean-Paul Vinay and Jean Darbelnet ont publié une œuvre qui a révolutionné la théorie de la traduction. Ce sont eux qui ont consacré la distinction entre la traduction directe et la traduction oblique. Il y a beaucoup à dire à ce sujet, mais ce qui ressort de ma pratique de traduction des chansons sur ce plateau, c’est le fait que, quand je ne comprends pas ce que l’auteur veut dire, je ne peux faire qu’une traduction directe – le mot à mot. Je suis empêché de m’amuser avec les mots, parce que le risque de taper à côté est extrême. On peut encore faire de la traduction directe quand on comprend le texte, mais il faut le signaler. Par exemple, dans la traduction de Songi songi ci-dessous, je traduis le verbe « koteka » par « vendre », sachant bien qu’il ne s’agit pas de « vendre » pour que les clients achètent, et vous verrez que j’ai mis le verbe entre guillemets. Je ne pouvais pas utiliser le verbe « trahir », car ça donnerait l’impression que la personne qu’on est allé accuser a vraiment fait du mal. Le verbe « accuser » donnerait l’impression que c’est devant le tribunal. Um ami d’enfance m’avait dit que cette chanson parle des agents de la sécurité nationale qui vont aux autorités dire qu’un tel peut être contre le nouveau régime. Quel verbe proposez-vous, chers mbokatiers ?
Dans la deuxième partie de la chanson, à partir de « Bakoyebisa yo yoka balobi … » jusqu’à la fin, je ne comprends pas de quoi il s’agit, mais je connais tous les mots. Donc, je fais une traduction directe. Je ne peux pourtant pas vous dire si « kopesa mbote na mote te » signifie « ne saluer personne » ou « ne serrer la main à personne ». Je vois mal dans un contexte africain, même urbain, dans les années 60, ne pas saluer une personne que vous connaissez, si elle se présente non loin de vous sur la voie publique. Vous pouviez évidemment vous arranger pour ne pas lui serrer la main. Donc, n’ayant pas d’éléments pour savoir de quoi il s’agit, on dit « saluer », ce qui peut ne pas être le cas.
Dans la première partie, je comprends très bien, et je me suis permis des libertés : traduire « songi songi » par « intrigues », « mboka » par « communauté », « koboma » par « mettre en danger », « komona » par « se rendre compte », « kobebisa » par « causer du tort », etc. C’est ce que Vinay et Darbelnet appellent la traduction oblique.
TRADUCTION DE « SONGI-SONGI », DE ROCHEREAU ET L’AFRICAN-FIESTA NATIONAL, PAR PEDRO
Songi songi eboma mboka mama
Les intrigues peuvent être un danger pour une communauté
Baninga lel’oyo namoni
Amis, maintenant je m’en rends compte
Likambo a koyoka malamu luk’omona na miso
Ce que tu entends dire, cherche à le vérifier avec tes propres yeux
Pamba te e e ekoki kobebisa
Sinon, ça peut causer du tort
Kisasa lel’oyo etondi nde na bandoki
Kinshasa est actuellement pleine de sorciers
Bandeko basusu babandi kobangisa biso
Certains de nos frères commencent à nous faire peur
Bakozwaka kaka mbongo na kotekaka bato
Ils ne gagnent de l’argent qu’en « vendant » les autres
Kompani bakosalaka a tokomonaka te
Et nous ne voyons pas dans quelle compagnie ils travaillent
Songi songi eboma mboka mama
Baninga lel’oyo namoni
Likambo a koyoka malamu luk’omona na miso
Pamba te e e ekoki kobebisa
Kisasa lel’oyo etondi nde na bandoki
Bandeko basusu babandi kobangisa biso
Bakozwaka mbongo kaka na kotekaka bato
Kompani bakosalaka a tokomonaka te
Paroles:
Songo songo eloko mabe na mbok’oyo heuh!
Les intrigues sont une mauvaise chose dans cette communauté, heuh !
Bakoyebisa yo yoka balobi
Ils te conseilleront d’écouter ce qu’ils te disent
Po ofuta bango
Pour que tu leur donnes de l’argent
Bongo basekaka yo o
Et qu’ils se moquent de toi par la suite
Olesaka bango
Que tu leur donnes à manger
Soki okomi na mpasi bakima yo
Et qu’ils t’abandonnent en temps difficiles
Otongi ndako ya ndele
Tu as construit une maison en paille
Est-ce que tembe ezali
Y a-t-il des doutes
Mingi bakota boloko na lopitalo
Beaucoup ont été emprisonnés et hospitalisés
Boni batalaka bango
Est-ce qu’on leur rend visite?
Bamilobaka te soki nabimi nakomi na cité
Qu’ils se disent que, si je sors et j’arrive à la cité
Napesa mbote na moto te
Je ne dois saluer personne
Bayebisaka yo yoka balobi
Ils te conseillent d’écouter ce qu’ils ont disent
Mpo ofuta bango bongo basekaka yo o
Olesaka bango soki okomi na mpasi bakima yo
Otongi ndako ya ndele
Est-ce que tembe ezali
Mingi bakota boloko na lopitalo
Boni batalaka bango
Bamilobaka te soki babimi bakomi na cité
Qu’ils se disent que, s’ils sortent et arrivent à la cité
Bapesa mbote na moto te
Ils ne saluent personne
NB : Dans les strophes répétées, je n’ai traduit que les vers qui ont une autre variation.
À propos de la chanson « Songi-Songi », voici le commentaire de notre ami Emmanuel Kandolo qui édifiera nos lecteurs.
- « Songi Songi », Rochereau, African Fiesta National (Rochereau abuakela Capitaine Denis Ilosono, Secrétaire particulier ya President Mobutu, mpo ye nde afundaki ye que abuakeli Président Mobutu mbokela na liwa ya Etienne Kashama Nkoyi, Conseiller ya Président Mobutu) ;
Emmanuel Kandolo, le 11.10.2011
Traduction.
Vers 1967, Etienne Kashana Nkoy, un jeune conseiller à la présidence trouve la mort. À titre posthume, Rochereau, son ami d'enfance lui dédie une chanson intitulée « Kashama Nkoy ». Comme d’habitude, l’opinion se met à spéculer. Les rumeurs selon lesquelles cette « satire » serait destinée à Mobutu lui parviennent par le biais de son Secrétaire particulier, le Capitaine Ilosono.
En réaction, Rochereau compose une autre satire stigmatisant Denis Ilosono comme étant celui qui avait vendu la mèche auprès de Mobutu, d’où le titre « Songi-Songi », qui veut dire « les délations ».
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